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 A 26 ans, il l’aurait écrit en une heure et cinq minutes et pourtant Tchekhov n’aura jamais été aussi sincère. Une bouleversante plongée dans l’âme russe et le monde des comédiens ! Un petit joyau.
Barbe en bataille, Vassili Svetlovidov ronfle, effondré dans un fauteuil. Son rêve est si profond que, quand il émerge, une terreur s’empare de lui. Que fait-il au fond de sa loge, dans le noir ? Le mémoire lui revient petit à petit : « Seize rappels, trois couronnes, un tas d’autres choses. Tout le monde était enthousiaste… mais personne pour éveiller le vieil ivrogne ! » Ivre de son triomphe, le comédien a bu force vodkas et s’est affalé. La tête lui tourne et il ne sait plus où il en est, se rendant à peine compte qu’il est au théâtre. Un théâtre plongé dans l’obscurité et complètement désert. Il appelle ses aides, ceux qui l’assistent. Naturellement il n’y a personne. Le mépris de l’aristocrate lui monte à la gorge – mépris qui dans la minute même peut se transformer en une tendresse excessive. En tous cas il fulmine : « Voilà ce que c’est de récompenser ces gars-là , trois roubles à chacun ! » Mais sa colère rejoint l’angoisse, cette peur du noir. Une lumière pointe finalement. Il sursaute, ne serait-ce pas ?...
Mais point de fantôme ni de revenant ! Il s’agit, selon ses propres termes, d’un vieux rat de théâtre : le souffleur. Ne faisant qu’un avec la fosse, « qui a englouti quarante-cinq ans de sa vie » il occupe une place médiane, juste entre la scène et la salle. Aussi tire-t-il pour lui son dernier feu d’artifice. Nikita Ivanytch, tout d’abord étonné, vit un moment éblouissant. Tout le répertoire y passe, les grands textes, ceux qui ont fait sa gloire, ici restituée. Mais l’extase est proche du désespoir. La peur de la mort finit par gangrener l’ensemble, d’autant que ce vieux cabot se sent sevré d’amour : « si je meurs, personne ne priera pour moi. Car qui m’aime ? Personne ! » Toujours aussi pétri d’admiration, le souffleur répond : « Le public… Lui, vous aime. » Cette confidence, si sincère, est comme le creux de la vague dans cette tempête pathétique où émergent, presque sur le même ton des extraits de Boris Godounov, du Roi Lear, d’Hamlet et surtout d’Othello, autant des textes qui ont la gloire du grand acteur. Ah ! Nostalgie, nostalgie quand tu nous tiens !
Sébastien Scherr, dans une réalisation sobre, a donné carte blanche à Eliézer Mellul, très remarqué naguère dans La Voix Humaine de Cocteau. Comédien, auteur, metteur en scène – il a monté l’unique pièce d’Elie Wiesel- il fouille l’âme russe jusqu’au bout, se mettant presqu’en danger comme l’adolescent qui, arrivé à la mue, force sa voix. Celle-ci est sur le point de se rompre, mais le garçon a donné le plus de lui-même. C’est également le cas du cygne qui, à la veille de la mort, lance son plus beau chant. Mellul ici joue sur cette corde, bien que l’œuvre, du début jusqu’à la fin , est traversée d’un « désespoir joyeux » - la patte de Tchekhov.
Jeff Turmeau, en Ivanytch, donne la réplique à Eliézer Mellul en parfait souffleur, on ne plus admiratif du Vassili qu’il sert, déférent, mais aussi complice, car pendant que le comédien attirait sur lui toute la lumière, lui, du fond de sa boite, ruminait les mêmes textes, s’en emparant. Belle fraternité et l’impression un peu décalé d’une confusion des sentiments ! Cette confusion qui, en fin de compte, anoblit l’homme, au point qu’à nous, spectateurs, il nous semble pousser des ailes. |
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Mis à jour le 15/05/2019
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