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 A la question ''Quoi de neuf ?'', Robert Manuel -- vieux comédien du Français -- répondait tout de go : ''Molière !'' Molière passe en effet toutes les époques. Mais Caroline Rainette lui a donné une cure de jouvence.
Un homme en jeans et blouson de cuir fauve surgit de la salle. Une fois sur scène, il s’écroule. La chaise est assez solide pour supporter toute sa rancœur. Un mot de plus et il revolvérise l’espèce humaine ! Peut-être l’a-t-il trop aimée car rien n’est pire qu’une désillusion. Mais tandis qu’il vitupère, se glisse derrière lui une ombre en robe d’avocat. Philinte convaincra-t-il celui qu’il considère plus en ami qu’en client ?
La vie en société nécessite quelques accommodements. Alceste ne veut rien entendre et la moindre politesse le fait monter Alceste aux rideaux… bien qu’on ne soit pas dans un salon. Les mots cour ou procès nous amènent au Palais de justice. Alceste 2017, en plus de ce dégoût du monde, vit sous pression, car il a un procès sur les bras. Philinte, en bon défenseur, l’abjure de sacrifier à la coutume, celle de rendre visite aux juges chargés de l’affaire. Comme à son habitude, il fulmine et le bon capricorne – comme l’était Molière - patauge dans sa bile noire. Paradoxe cependant : il aime la plus coquette des coquettes. Sans le ménager, elle l’étrille et, le mettant à l’épreuve, se jette à la tête des créatures de la Jet set. Rien d’étonnant qu’à son entrée, il n’y aille pas avec le dos de la cuillère :
"Madame, voulez-vous que je vous parle net ?
De vos façons d’agir je suis mal satisfait ;
Contre elles dans mon cœur trop de bile s’assemble."
La jeune femme a l’excuse de ses vingt ans et elle est veuve. Molière, visant les gens de son époque, la faisait sombrer dans la préciosité qu’entretenaient les salons du Marais. Caroline Rainette nous ouvre la porte d’un appartement du « XVIe », où snobisme rime avec champagne.
Pour ce qui est des choses sérieuses – c’est-à -dire les affaires du Palais - revenons au premier acte et au face à face Alceste-Oronte. Oronte n’est plus un simple diseur qui quémande un compliment. C’est un avocat, comme Philinte. Sans doute taquine-t-il la muse entre deux plaidoiries. Ses effets de manche et ses grosses lunettes d’écaille nous rappellent Me Floriot. Alceste, sollicité pour son sonnet, évite d’abord les compliments, puis éclate : "il est bon à mettre au cabinet. Oronte n’apprécie guère. Nouvelle chicane en vue."
Question cœur, les déchirements entre les deux amants s’amplifient, d’autant qu’apparaissent deux femmes, bien résolues à piétiner l’idylle qui se pointe. Eliante, cousine de Célimène, fait un moment balancer le cœur d’Alceste. Quant à la seconde, Arsinoë, elle campe la rigueur, employant des procédés que notre misanthrope ne désapprouverait point : la dénonciation … mais dans un but moral. Brave petite Judas !.. Ainsi distribue-t-elle aux spectateurs le double d’une lettre assassine, écrite par Célimène. On y lit :
"Pour l’homme aux rubans verts Alceste il me divertit quelquefois avec ses brusqueries et son chagrin bourru ; mais il est cent moments où je le trouve le plus fâcheux des hommes."
La missive est adressée à Acaste. Pour nous, c’est seule preuve de l’existence des « petits marquis » que Caroline Rainette, dans sa cure de jouvence, a remisés au vestiaire. Mais pas à n’importe quel vestiaire. Le vestiaire du palais de justice où s’habillent les avocats. Je regrette un peu cette coupure, mais la pièce allégée donne au public d’autres occasions de rire. Et celui-ci ne s’en prive pas. Ce qui montre la justesse et l’efficacité de la mise en scène. En Alceste, Lennie Coindeaux est plus que convaincant. Il terrorise presque. Pourtant il sait fendre l’armure. Comme dans la scène où il entame la chanson du Bon Roy Henry avec guitare et mouvements de twist à la Johnny Hallyday.
Caroline Rainette en personne s’est investie dans le personnage de Célimène. Il y a mis toute la rouerie et les élans d’un cœur décidément sec, préférant en définitive les plaisirs du Siècle à l’amour, même écorché. On comprend qu’il n’y a plus de comédie, mais une tragédie, qui prête parfois à rire.
Oronte est excellent, drôle, inattendu : Jérémy Hamon joue de sa robe d’avocat, prêt à broyer tout sur son passage. Je le sens redoutable. Bruno Aumand est un Philinte persuasif. Il représente la société telle qu’elle devrait être et non telle qu’elle est. Il défend un idéal et croit en l’harmonie. Camille Cieutat a la charge de deux rôles, celui d’Arsinoë et celui d’Eliante, si différents l’un de l’autre qu’on a l’impression de voir déambuler deux actrices. En Eliante, elle trousse à merveille "la tirade des portraits", démontrant, qu’un homme amoureux ne voit jamais les défauts de sa belle. Stendhal n’est pas si loin avec sa "cristallisation". En Arsinoë, sa rigueur nous désarme, d’autant qu’elle est affublée de la robe d’avocat. Magnifique prestation, à l’image de cette mise en scène dont le rendu de la pièce ne laisse pas indifférent le public. Je l’ai entendu rire. Molière doit apprécier. Il roule déjà sa moustache. |
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Mis à jour le 21/11/2017
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