L’enfant, c’est Face de cuillère, surnommée ainsi à cause de la forme de son visage à la naissance. La mort, c’est celle chantée par la Callas, mais c’est aussi celle, plus triviale, qui attend Face de cuillère, jeune autiste atteinte d’un cancer incurable. J’entends déjà vos pensées : "Ouh là là ! Une pièce sur la mort et la maladie, et, par-dessus le marché, de l’opéra ! Non merci ; le théâtre, c’est fait pour se divertir !". Je ne peux que vous répondre alors d’oublier tout ce que vous venez de lire et tenter de recommencer la présentation de la pièce mise en scène par Michel Didym. Face de cuillère n’est pas une pièce larmoyante. A la manière d’Eric-Emmanuel Schmidt dans Oscar et la dame rose, Lee Hall, scénariste de Billy Elliot (entre autres), aborde un sujet grave avec une plume incroyablement légère. Il retrouve les mots et le flux de parole de l’enfance pour dire l’atroce, l’horrible, le tragique. Sa Face de cuillère est une enfant gaie, au regard vif, à la pensée "libre" (dixit Romane Bohringer) et piquante. Elle observe le monde qui l’entoure avec naïveté mais acuité. Son père absent, sa mère alcoolique, les médecins doutant (ou douteux), tous ceux qu’elle croise font l’objet d’un portrait au vitriol. De sa voix fluette, elle leur donne vie, retranscrivant leurs paroles et leurs expressions. C’est finalement plusieurs personnages qui s’offrent à nous. Toute une société, ses mensonges, ses hypocrisies, ses faiblesses nous apparaissent à travers eux.Pour les interpréter, une seule actrice en scène : Face de cuillère, non, pardon : Romane Bohringer, "étincelante" (comme Face de cuillère préconise de l’être !). La comédienne interprète une petite fille qui joue, pour nous, les personnages de son quotidien. Exercice difficile dont elle s’acquitte avec brio. Très vite on oublie que c’est une femme qui est présente sur scène ; on ne voit plus que la gamine espiègle et touchante. Le pari est réussi grâce à l’interprétation irréprochable de l’actrice et à l’excellente mise en scène de Michel Didym (déjà remarqué avec Ma Famille cette saison à la Croix Rousse).Une scène relativement dépouillée : un banc d’écolier, des porte-manteaux évoquant le couloir d’école, bref l’univers de l’enfance. Une lumière sobre, parfois d’une blancheur d’hôpital, parfois plus intimiste. Plus important : un objet, le compagnon inséparable de Face de cuillère : son transistor. Grâce à lui, c’est son propre univers qu’elle crée : un monde idéal, dans lequel la Callas chante une mort sublimée, dans lequel l’espoir subsiste tant qu’on demeure sur la route de la vie. La parole enjouée de l’héroïne alterne subtilement avec les airs de la diva, pathétiques mais plein d’élan. Ils sont ainsi l’occasion pour Romane Bohringer / Face de cuillère de se mouvoir, de laisser porter son corps par l’émotion. Et l’émotion de gagner le public, qui tantôt rit, tantôt pleure, mais jamais ne se lasse.