Enfin un vaudeville dont la langue n'est pas de bois ! Une comédie où l'humour est fracassant, les mots sont grinçants, les paroles brisent les interdits. J'irai twister sur vos tombes, un regard décliné au pluriel qui invite à s'installer dans le décor très kitsch d'une famille des années 60. Autour de la table, la fille et son copain pianiste et travesti à ses heures, le fils et sa fiancée nunuche et prozaquée, le mari aussi discret que les losanges du papier peint, la mère aussi renversante qu'une tarte tatin. Cette famille est somme toute aussi ordinaire qu'un transistor Radiola... en apparence. La mère, Clara Brajtman, annonce à la volée sa volonté de voler de ses propres ailes. Silence ! Un coup de feu éclate, le père, Clément Beauvoir, s'effondre la face contre la nappe en vichy rouge. Sang pour sang ! Clin d'œil à Clément Beauvoir, une voix de crooner comme il est rare d'en entendre encore.
La mère porte le deuil avec le soulagement du suicide accompli... C'était presque inespéré car son mari ne bandait plus, clame-t-elle avec liberté. Un mot pour Clara Brajtman, exceptionnelle !
S'ensuivent des mises en situation cocasses entremêlées d'annonce de mariage, de rupture de fiançailles, de confidences sur la libido de la fiancée, Marie-Mathilde Amblat. La comédienne est subtilement jouissive dans son jeu, elle incarne la belle-fille de service avec une vérité criante. Baptiste Nénert, Le fils et futur époux, est la réplique recto/verso du p'tit con autoritaire qui se croit supérieur aux autre. Un coup de fil, le départ pour le service militaire en Algérie. Le cynisme de la famille fait plaisir à voir, le fils chéri part à la guerre... et ne reviendra peut-être pas !
La fille, Anne-Laure Laithier, est désinvolte à souhait, elle ne badine pas avec l'amour pour son ami, Nessim Vidal. Un pauvre type qui joue du piano assis, debout et prend en pleine poire les noires et les blanches car il réfléchit comme un têtard. Nessim Vidal, un sacré numéro ! L'oncle, Aurélien Osinski, quelques hectogrammes de graisse antique, l'œil coquin, fait du gringue à sa belle-sœur, Clara Brajtman. C'est le boulet de la famille car il arrive de nulle part et s'installe comme un cafard qui compte faire sa vie.
J'irai twister sur vos tombes, un vaudeville yéyé tendrement insolent, moralement dérangeant. Paroles et chansons collaborent joyeusement avec les guitares et le piano. Une écriture musicale à ne pas jouer au conservatoire. Une partition où insouciance et originalité rythment les accords en voix et en doigtés. Un spectacle qui déclenche des désirs caustiques et donne envie de sourire amer.
La mise en scène de Fanny Zeller, aboutie et le public en demande de nouveau. Une belle soirée à La Loge avec tous ces artistes.