A première vue, le désordre ambiant sur scène interroge sur le sens du spectacle à voir. Artistes et musiciens se fondent dans un ensemble nomade peuplé d’instruments, cage en fer, agrès de gymnastique et de chaises disposées ici et là. Les chansons en croate se succèdent, le surtitrage aide à la compréhension des paroles extraites d’une autre époque. Les costumes témoignent de trois, voire quatre décennies passées. Soudain, tout s’arrête et Ligne jaune commence enfin... la pièce attendue par le public venu en nombre.
Une comédienne ne s’embarrasse plus de ses vêtements et s’exhibe dans son plus simple appareil. Tel un produit de grande consommation, elle est mise aux enchères et exposée dans la cage en fer. Un homme se détache de la troupe, mi-dénudé, il n’inspire pas confiance. Ses attitudes parlent pour lui au moment où il feint dans une cadence effrénée l’acte sexuel avec une partenaire inexistante. Autour et en aval, les autres artistes poussent la réplique entre deux morceaux de musique, deux airs mélodramatiques.
Vacarme et chantier s’installent de nouveau progressivement sur le plateau. La mise en scène d’Ivica Buljan laisse entendre le monde en chantier, un fouillis social, une pagaille post-coups d’état dans l’histoire de l’ex Yougoslavie. Pays d’Europe centrale, la Croatie peine à se relever de plusieurs années de privations, de soumissions, d’interdictions.
L’histoire se réplique par des hommes et des femmes indignés, lesquels font chair de leur amour-propre, font preuve de désillusion dans cet état en reconstruction. Les politiques promettent, les pouvoirs publiques se servent au passage et rien ne ressort de ce bourbier indescriptible.
La Ligne jaune, un constat à l’échelle humaine de l’immigration clandestine. Qui dit la vérité ? Qui ment ?
Le portrait qui est dressé dans ce spectacle dépasse les frontières de la Croatie et s’étend sur l’Europe occidentale, l’Europe de la démocratie, l’Europe des hommes libres et inégaux sur la balance sociale et économique.
Bouleversements intérieures et extérieurs résonnent de l’interprétation des comédiens. L’amour se greffe entre deux lignes jaunes, la patience et la séparation font feu des incertitudes, l’espoir nait de nouveau dans les yeux et dans les cœurs.
Ligne jaune, un spectacle politique qui se prolonge tard dans la nuit, le collectif est généreux dans l’effort. D’issue, ils trouveront le jour où la ligne jaune s’arrêtera au point alpha et se verra remplacé par une ligne blanche discontinue.