Hamlet, raconté par son ami Horatio ! Soixante minutes entre la naissance et la mort du Prince ! Soixante minutes pour six acteurs ! A Elseneur, le temps est déréglé, comme sorti de ses gonds, le théâtre de l'Entre-Deux va donc jouer avec ce temps inexorable qui s'écoule et nous rapproche toujours un peu plus de la fin.La fin... C'est justement par là que commence la pièce, une fois seulement que les présentations sont faites! En effet, Philippe Mangenot présente les comédiens par leur prénom et indique les rôles qu'ils vont incarner. Rien n'est ordinaire, chronologique ou attendu, dans cette version exceptionnelle de l'œuvre de Shakespeare. Tout peut arriver, la convention n'existe plus. Pour autant, le texte initial est respecté. Mais ce que réalise Mangenot – et qui lui permet de construire une pièce originale – c'est qu'avec la traduction de Markowicz, il redécouvre Hamlet !Mangenot prend à parti le public : au début, il lui donne le rôle de la cour qu'il prépare à clamer "Trahison, trahison". Et à la mort de Claudius, à la fin. Il ne cesse de s'adresser ponctuellement à lui, pour recontextualiser, expliquer, développer, ironiser ; l'espace-temps se fait et se défait sous nos yeux, s'arrête et repart constamment. Hamlet agit plus qu'il ne pense ici, il naît, et renaît devant nous et nous aspire dans un rythme farfelu mais délicieux.L'inversion des rôles permet une dynamique constante, le public pourrait être perdu mais des codes simples et efficaces sont livrés par les comédiens pour que les spectateurs restent suspendus à ce qui se joue sur les planches. Les six comédiens sont talentueux, ils dégagent une énergie telle que le public est aspiré dans un tourbillon qui ne s'arrêtera qu'une fois le dernier grain du sablier écoulé. Gertrude, Claudius, Hamlet, Horacio, Ophélie, Laërte, Polonius, Fortinbras, tous sont magnifiquement incarnés, ils prennent vie sous nos yeux ! La folie est palpable chez chacun, par vengeance ou par amour, somptueux fantasque !L'espace prend différentes facettes, rien n'est figé, le décor change continuellement, perpétuelle constitution de lieux et d'atmosphère en grande partie autour d'un immense miroir laissant apparaître et disparaître les illusions, l'inconscient, le spectre du père d'Hamlet. Mangenot, avec l'aide de Markowicz, a déconstruit l'œuvre shakespearienne pour ensuite la reconstruire, tels des écrivains surréalistes du début du XXe siècle, Breton approuverait sans doute ce brillant travail !Hamlet 60, c'est l'incroyable travail d'une langue, d'un rythme, de sonorités, de jeux de mots, de répétitions, c'est le travail d'un souffle sublime, le vers élisabéthain. C'est l'aventure de six comédiens, dont le metteur en scène, et d'un traducteur, qui ont su rendre au Prince du Danemark toute sa force, sa légèreté et sa beauté au cœur des limbes de sa tragédie. "Nous savons ce que nous sommes, mais nous ne savons pas ce que nous pourrions être", après Hamlet 60, on ose l'imaginer !