La compagnie Carrozzone Teatro n’en finit pas de se forger une réputation dans la création d’histoires confondant le tragique et la comédie. La tragicomédie, somme toute, élégamment délayée dans les pièces de Fabio Marra. Mise en présence de personnages extraits de situations courantes, des répliques proportionnées au parler urbain, un style échafaudé sur le principe de la preuve par trois, l’émotion, le pire et le meilleur. D’écrire en toute conviction que le genre séduit un public de jeunes adultes inspirés par la forme et aspirés par la fluidité de la mise en scène et la densité de la narration.Dans les chaussures d’un autre, il est question de la recherche de la véritable identité. "Etre ou ne pas être", la formule culte de Shakespeare s’installe avec fermeté dans les fondements sociétaux contemporains. L’homme et la femme, selon le code de l’Etat civil, sont officiellement enregistrés dans un livret de famille frappé du sceau de la Marianne. Traçabilité identitaire du parcours universel, de la naissance à la mort. La vie ressemble à un marathon administratif à chaque étape conformant la position de l’homme dans la société selon les degrés d’évolution et de stabilité qu’il y consent. Le mariage, la naissance des enfants, le divorce, le veuvage. Un dessein construit sur de solides bases, lesquelles ne dérogent pas à la raison d’être et d’avoir été. Le présent et le passé s’imbriquent l’un dans l’autre avec et sans distinction selon un modus operandi individuel.Qui ne suit pas cette ligne droite tracée par les pères de nos pères suscitent immédiatement un tollé désapprobateur véhiculé par les codes politiques et les dogmes civiques. La liberté d’expression s’accorde en genre et en nombre avec la majorité qui incite à réfléchir à la citation "Dis-moi qui tu es et je te dirai ce qui ne va pas".L’histoire. Lucia et Eduardo forment un jeune couple presque bien sous tout... Des rapports, elle en rêve, lui les fuit. Le désir se décline au féminin et au masculin. Comprendra qui voudra et pour une fois, la question de la chose ne fait pas allusion à la fameuse réplique "Pas ce soir, j’ai mal à la tête". D’ailleurs, il y a de quoi car Giovanni, le frère de Eduardo, joue le mari-domestique pendant que Carlotta, son épouse hantée par sa carrière, rejette les avances de son mari, avoir un enfant. Une vie partagée entre deux destins symétriques et pourtant diamétralement inversés. A croire que dans cet ensemble, il y a deux sous-ensembles composés d’éléments faits pour ne pas se rencontrer.La scénographie. Deux appartements contigus séparés par une cloison, le mobilier s’appuie sur la durabilité d’un côté et le formica de l’autre. La transposition des parallèles dans le décor est subtil car il manifeste les conflits d’intérêts et les divergences.Le réalisme de la mise en scène est catapulté par les jeux de lumière. Des effets denses et pervers, fluides et intimes, lesquels dosent la pièce d’amertume et d’ironie. Fabio Marra insiste sur l’affirmation de l’individu tel qu’il est et tel qu’il est sans être avant même d’avoir été. La migration des mentalités de l’absurde à la réalité prend racine dans une galerie de pop-art. Les couleurs se mélangent, les géométries s’enchevêtrent et se détachent pour mieux séduire l’œil, la perception immatérialise le présent et le néant. La cruauté des propos instrumentalise l’irrecevabilité du sexe dit fort représentés par Aurélien Gomis, Eduardo, et Fabio Marra, Giovanni. Frères et amis, frères et adversaires. Ils véhiculent à leur façon la notion du bonheur et distribuent à qui acceptent de la recevoir leur âme livrée en l’état.Valérie Mastrangelo, rôle de Carlotta, et Estelle Dehon, Lucia, pensent femmes mûres et assises sur leurs convictions, bien qu’à l’opposé l’une de l’autre. Le rôle phare éphémère revient à Sonia Palau interprétant Vanessa. Personnage libéré physiquement et psychologiquement bouleversé par la présence d’un proche "hors-père", Georges d’Audignon.La mise en scène de Fabio Marra, c’est un peu de l’auteur qui s’introduit en profondeur en chacun des comédiens. Que dire, la vérité, toute la vérité. Le bonheur, c’est simple comme un coup de fil pour réserver une place pour aller voir Dans les chaussures d’un autre au théâtre Le Lucernaire. Cette pièce ne se résume pas à quelques mots traduits pas les émotions du chroniqueur. Cette pièce, c’est une chronique de la vie dans laquelle chacun se reconnaitra.