De nombreux Français ont marqué notre histoire. L’abbé Pierre, Mère Theresa, Louis XIV, Napoléon... Une grande partie de ces figures emblématiques œuvraient dans la politique. Jeanne d’Arc est l’une des icônes les plus fortes qu’il soit. Tout d’abord par son sexe, une femme, et vierge de surcroit, à la tête d’une armée de mercenaires sanguinaires. Une jeune femme de 19 ans qui se présente à la Cour du Roi, affirmant qu’elle reçoit les messages d’intendants de Dieu, qui lui affirment que sa mission est de chasser les Anglais de France. C’est très gonflé pour l’époque, et pourtant ça a fonctionné ! Alors pourquoi ? Comment cette petite pucelle bergère sortie de ses moutons s’est-elle retrouvée à diriger des soldats et à gagner nombre de batailles ?Après Olympes De Gouges, Salomé, Camille Claudel et bien d’autres, Giancarno Ciarapica s’intéresse à Jeanne d’Arc. Il crée sur scène une sorte de procès de Jeanne d’Arc afin de comprendre et de définir qui elle était vraiment. Pour ce faire, il confronte deux visions de Jeanne d’Arc sur un ring, l’icône Jeanne d’Arc, pure et vouée à Dieu, bigote et un peu simplette ; à la Jeanne "Dark", guerrière impitoyable qui ne rêve que d’une chose, conquérir le trône de son demi-frère, qui aurait dû lui revenir de droit. Une femme, Monsieur Loyal, arbitre le match, fait le lien entre le public et le jeu sur scène, et veille au bon déroulement de l’affrontement.L’idée est bonne et très intéressante. Voilà quatre ans que Giancarno et son équipe sont sur la réalisation de cette pièce. On y retrouve une masse importante de détails et d’anecdotes sur la vie de Jeanne d’Arc que la majorité ignore. On peut saluer l'immense travail de recherche qui a été effectué. Effectivement, c’est ce travail qui rend la pièce Jeanne Dark si troublante.Le grand public, dans le monde entier, ne voit en Jeanne d’Arc qu’une jeune bergère qui, un jour dans un champ, entendit la voie de Dieu, ce qui lui permit de se rendre à la Cour, de faire couronner le roi légitime et d’obtenir une armée pour repousser les Anglais hors de France. Puis, elle fut brûlée pour sorcellerie. Et bien, Jeanne Dark nous permet de mettre en doute cette version simpliste. Il se pourrait que Jeanne fut elle-même de sang royal, qu’elle souhaitait récupérer le trône, que son accès au commandement des armées ne soit qu’un vaste complot mis en place par sa protectrice, une femme très haut placée, qu’elle fut condamnée, non pas pour sorcellerie ou hérésie, mais pour avoir porté l’habit d’homme, et qu'en définitif, ce ne soit même pas elle qui brula sur la bûcher, mais une pauvre remplaçante. Waouh !Un texte magnifique et prenant, avec un concept de mise en scène intéressant, mais la réalisation reste faible. Dommage ! Des longueurs, des répétitions inutiles, beaucoup trop de rounds et des monologues magnifiques mais maquant de vibrations font que l'on perd beaucoup de la compréhension.Les premières minutes sont longues et fastidieuses. Mais les comédiennes s’améliorent au fur et à mesure de la pièce. Plus elles jouent leur facette de Jeanne d’Arc, et plus elles sont captivantes. Les scènes de combats sont bien chorégraphiées mais le rythme est beaucoup trop lent, cela perd en intensité et en crédibilité.Les deux Jeanne d’Arc sont très stéréotypées, un choix du metteur en scène. Voir leurs convictions et personnalité s’effondrer petit à petit rend les personnages plus vrais. L’essentiel de la pièce repose sur le texte, le jeu des actrices et les lumières. Un beau travail de lumière permet des changements directs et compréhensifs de scène et d’ambiance. Attention toutefois à ne pas plonger les comédiennes dans des couleurs qui effacent leur visage et leurs expressions. La musique permet de soutenir les tableaux, elle n’est pas omniprésente et est utilisée à bon escient. Le dernier tableau est marquant, satirique et très évocateur.Jeanne Dark revisite l’histoire de "la pucelle d’Orléans", dont l’action se déroule il y a plusieurs siècles. Et pourtant, cette pièce fait écho à notre actualité. Elle nous fait réfléchir sur notre système politique, sur la manipulation, le travestissement de la vérité et ce que l’on retient d’une histoire. Une pièce très instructive, au texte magnifique, qui comporte toutefois quelques faiblesses au niveau du jeu et de la mise en scène. Si elle est correctement retravaillée, avec le temps, cette Jeanne Dark fera l’effet d’une bombe dans le paysage théâtral français !