Grand bien lui a pris, Tristan Garcia, de prendre sa plume et d'écrire le roman La Meilleure Part des hommes. Fable contemporaine sur fond d'actualité sociale des années 80 mettant en lumière les dérives sexuelles d'une génération d'hommes et de femmes. Le sexe sans tabou, l'amour décapotable, homme-homme, femme-femme, je tu nous vous aime. La pluralité des sentiments librement exprimés, génération 80 à gauche toute, mais que de putains de lendemains !Un groupe de huit individus investit le plateau et reprend en chœur la chanson de Madonna, Like a virgin, touched for the very first time. La présence du bassiste s'éclaire comme une vignette collée sur un disque 45 tours. Il est percutant de réalité car sa musique impose un rythme générateur d'émotions et de sensations fortes à certains passages de la pièce.Guillemets ouverts sur la bio des quatre personnages : Valentine, journaliste, 33 ans et célibataire avec ouverture ; Doumé, natif de Corse et dépucelé à 16 ans par une Hollandaise dans un camping ; Willie, le p'tit gars d'Amiens avec sa cathédrale, les yeux dans le flou, il dit "Quand l'amour est cassé, il y a des silences dans une maison" ; et Leibo, arrivé en France à Aubervilliers, il aime les BMW.Quatre destins véhiculant des identités diamétralement opposées qui se sont rencontrés à une intersection importante de leur existence. Le fil conducteur de cette histoire, une maladie aux effets dévastateurs qui a laissé perplexe les politiques et la science. Les cabinets des médecins généralistes voient affluer une nouvelle clientèle affectée par un virus pour le moins étrange. A cette heure, il n'existe aucune thérapie sur le marché qui puisse être couchée sur ordonnance. Les malades sont de jeunes adultes fréquentant principalement le même sexe.Les médias s'emparent de l'affaire, le journal de 13 heures affiche complet, celui de 20 heures également. Une cascade d'images en noir et blanc déferlent d'interviews d'hommes politiques sur le mur en fond de scène, un panorama élargi pour l'opinion publique délayée par l'autorité qui n'a pas d'opinion. "Les sidaïques doivent être catalogués" ou quelque chose de ce style, gémit un homme de l'extrémité.Génération 80, la jeunesse est radieuse, la France a viré de bord. Les homos restent homos, les hétéros touchent à l'héro, les écolos jouent au yoyo.Le sida dérange, les campagnes de dépistage délogent les plus radicaux, une visite gratuite pour un test. Une semaine d'attente avant d'entendre le verdict heureux pour les négatifs et la condamnation à la peine capitale pour les positifs. Naissance du premier mouvement associatif fédérant les gais, les lesbiennes et les transsexuels.La suite, c'est l'évolution du VIH dans les mœurs qui va transformer la société et s'inscrire sur les pages de l'histoire. Une histoire écrite à coup de thérapie et de trithérapie. Le chemin de croix est long, Lourdes est loin, les miracles sont rares.La mise en scène de Pauline Bureau n'est pas autodidacte car elle n'est pas de cette génération touchée de plein fouet par l'apparition du virus. Au contraire, elle est de cette jeunesse témoin des campagnes publicitaires vantant la promotion de telle ou telle protection masculine ou féminine. Génération 80, Mitterrand serre la main à Chirac, le sida vire de gauche à droite. Génération 2000, la France vibre, l'élection présidentielle est proche, le VIH s'accroche et selon les instituts scientifiques, il résisterait au temps en se développant de nouveau.Le travail réalisé par Pauline Bureau provoque un cataclysme, prenant la salle à témoin et non à partie, de la lassitude manifestée par les pouvoirs publics. Avec intelligence et subtilité, elle met à découvert le compte des banques de données sociales à une époque où l'homme est un numéro enregistré sur une carte verte et pas toujours vitale. La qualité de la mise en scène de cette pièce prend pour point d'appui l'interprétation des comédiens. Quatre personnalités entières, construites pour l'adaptation du texte de Tristan Garcia, des rôles joués avec profondeur et intensité, dignité et intégrité. Sans contrefaçon, les garçons s'aiment comme Valentine avec Leibo. Carré blanc sur certaines scènes qui peuvent choquer sans jamais provoquer.La Meilleure Part des hommes, une pièce de théâtre dont la touche de contemporanéité dosée avec justesse par Pauline Bureau s'adapte à la société d'aujourd'hui. Accompagnée de son équipe et des comédiens, elle a l'art et la manière de renouer le dialogue avec ceux qui passent sous silence cette terrible maladie, qu'est le Sida.Un spectacle à voir et à revoir contre vents et marées à la Tempête.