Le roman de Michel Quint est un récit de vie, le souffle coupé d'un adolescent en désaccord avec les pitreries de son père. Un texte profond écrit avec des mots simples et empreint de sensibilité. Une parenthèse s'ouvre sur un fait divers de la Seconde Guerre mondiale. Entre deux virgules, l'humour côtoie la peur, le rire aux larmes. La résistance s'organise, les sentiments font le siège.Effroyables Jardins, à sa parution en 2000, connut un succès immédiat, plébiscité par l'intérêt manifesté des lecteurs et approuvé par la critique littéraire. Ce texte a été adapté au cinéma par Jean Becker en 2003 et interprété entre autres par Jacques Villeret, André Dussollier et Suzanne Flon.Cette fois, la scène du théâtre du Petit Saint-Martin se prête volontiers à cette pièce mise en scène par Marcia de Castro. Ce texte résonne comme un écho dans la mémoire de cette femme d'origine brésilienne. Elle a vécu, dans sa jeunesse, la dictature et les interdits en tous genres imposés par l'autorité militaire.L'adaptation de cette pièce s'articule autour du jeu d'un comédien, André Salzet. Un rôle planté avec profondeur dans cet Effroyables Jardins. Un banc en bois trône au milieu de l'espace plongé dans une semi-pénombre.Ce court récit de Michel Quint raconte l'histoire de Lucien. Son père portait la blouse grise d'instituteur et l'accoutrement de clown à ses heures libérées. Le jeune garçon n'éprouvait aucune émotion pour les clowns. "Plus que tout au monde, j'ai détesté les augustes. Plus que l'huile de foie de morue, les bises aux vieilles parentes moustachues et le calcul mental, plus que n'importe quelle torture de l'enfance."Son père se produisait ici et ailleurs sous le costume d'auguste-amateur pour rien, juste pour le bonheur des autres. Les petits moments en famille, il n'y en avait pas. Lucien en arrivait à mépriser ce père délaissant régulièrement les siens. Un jour, le cousin Gaston décide de dévoiler à Lucien l'origine du nez rouge. Il raconte
comment son père et lui, rentrés dans la résistance, ont joué des tours pendables à l'occupant, tels les sabotages de réseaux électriques.Puis une fois, ce fut une fois de trop. Rattrapés par leur inconscience, les Allemands les firent prisonniers. Pour les punir, ils les jetèrent au fond d'un trou en compagnie de deux autres otages. La ronde était assurée par un soldat pour le moins anecdotique, Bernt. Il s'essayait à distraire les quatre compagnons d'infortune isolés dans leur geôle glaiseuse. Lui-aussi portait un nez rouge de clown selon les circonstances. Pour seul horizon, le ciel s'éclaircit quand le soldat Bernt fait l'auguste sous l'insigne de l'aigle du IIIè Reich ou s'obscurcit quand la voix de l'officier nazi vocifère des propos orageux.Le sort des prisonniers est lié au destin d'un homme victime d'avoir été là au mauvais moment. Des blessures physiques le condamneront et conduiront son épouse à commettre l'irréparable.Effroyables Jardins est une pièce qui mêle tragédie et philosophie, humanisme et poésie. Une leçon de vie qui défend l'intérêt de l'homme à l'homme. La mise en scène de Marcia de Castro restitue de manière époustouflante et transpirante la peur des quatre hommes jetés au fond d'un trou et livrés en pâture à des incertitudes existentielles. Une adaptation réaliste et signée par une femme qui a traversé la censure des petites choses de la vie dans son pays. L'allégorie "Il faut aider l'homme à s'accrocher à l'homme" se pose en débat des questions universelles balayées par les conflits, les séismes, les maladies et les mensonges. Le doute maquille la peur en bleu, la poésie du temps se pare en blanc virginal. Marcia de Castro a réalisé une très belle mise en scène cristalline et édulcorée.L'interprétation d'André Salzet est touchante de sincérité. Un texte répliqué avec le ton de circonstance, drôle ou dramatique. Il respecte la pudeur du texte en jouant avec finesse le rôle de Lucien, adolescent et haut fonctionnaire de la Commission européenne. Le comédien dans son seul en scène se glisse dans l'existence éphémère de quatre personnages. Il jongle avec les mots sur le fil des sentiments ambulatoires. Exercice réussi avec brio et sans filet.Les effets de lumières dansent sous les doigts expérimentés de Ydir Acef. La photosynthèse magnifie le talent planté d'André Salzet dans cet Effroyables Jardins.Effroyables Jardins, une pièce à découvrir ou à revoir sur la belle scène du théâtre du Petit Saint-Martin.