Ubu Roi évoque tout d’abord un mot. Un nom commun qui ne figure pas dans le dictionnaire et qui pourtant est peut-être un des plus célèbres de l’histoire du théâtre. C’est en tout cas celui qui caractérise le mieux la pièce dont il est issu. Ce mot est une déformation d’un autre, qui est à cinq lettres et qui commence par m... Dans la bouche de père Ubu, il acquiert une lettre supplémentaire pour devenir "merdre".A première vue, cela donne une image stupide du locuteur. Mais en puisant un peu, on peut aussi voir dans cette déformation du langage un subterfuge permettant au Père Ubu de laisser libre cours à ses pulsions intérieures. D’ailleurs, même aujourd’hui encore, on peut employer le néologisme ubuesque sur internet sans se faire censurer ni par des humains ni par des robots.Dans un tout autre registre, un journaliste a jadis signalé que le joueur de tennis John Mc Enrœ utilisa des injures issues de langues ignorées des arbitres pendant les matches, pour éviter tout avertissement de leur part. Le célèbre sportif américain n’aurait donc sans doute pas désavoué le procédé du père Ubu...La pièce d’Alfred Jarry est avant tout une vaste parodie d’une situation déjà quelque peu parodique : celle représentée dans Macbeth de Shakespeare, dont le personnage éponyme et son épouse, lady Macbeth, servent de modèles aux caricatures père et mère Ubu.Si on met de côté la fin (la scène dans les plaines enneigées de la Russie) où le spectacle a tendance à s’essouffler un peu et les références récurrentes un peu trop appuyées aux modèles shakespeariens, cette production d’Ubu Roi mise en scène par Franck Berthier est une vraie réussite ! Un dispositif scénique simple mais efficace sert de support à l’ascension (une partie du décor est en hauteur) burlesque du couple Ubu. Les personnages sont tout de blanc vêtus, la même couleur que le décor, ce qui donne une impression d’ambiance d’asile et évoque le climat du royaume de Pologne.Les interprètes ont adopté une tonalité expressionniste. Grâce à leur prouesse d’acteurs, le spectacle se transforme souvent en vrai divertissement. Leur plaisir du jeu est communicatif, et est partagé avec le public. Même s’ils adoptent un ton désinvolte – créant ainsi un effet de distanciation – ils servent de la meilleure façon qui soit un texte riche, souvent surprenant et toujours étonnamment moderne !