Dom Juan à moi tout seul
de Serge Dangleterre
Mise en scène de Serge Dangleterre
Avec Serge Dangleterre
M. Raymond, c'est l'homme à tout faire. Il s'occupe des décors, il raccommode les costumes, et surtout, il fait le souffleur. Mais comme il n'y voit plus très clair et qu'il a sa petite fierté, il apprend toutes les pièces par coeur...
M. Raymond est l’homme à tout faire de la troupe qui parcourt la France toute l’année avec de grands textes, tels que Roméo et Juliette, Le Médecin malgré lui, etc. M. Raymond est aussi souffleur dans cette compagnie. Comme sa vue a baissé il y a quelques années, M. Raymond qui n’est pas à court d’idées, a appris toutes les pièces qu’interprètent les comédiens. Dans le registre des pièces classiques, M. Raymond aime jouer à lui tout seul Dom Juan dans un théâtre de province déserté par ses collègues de travail. M. Raymond est un homme du midi de la France, aimant son pays, chantant l’olive et la lavande. Mais il aime aussi les mots, les vers de Molière, et plus particulièrement ceux de Dom Juan, le joli cœur de ces dames. M. Raymond joue les différents rôles de la pièce comme un enfant qui invente un monde qu’il n’a pas envie de quitter. A travers M. Raymond, Sganarelle, Dom Carlos, Done Elvire et bien sûr Dom Juan prennent vie. Les épisodes de l’existence de Don Juan sont interprétés par M. Raymond, qui au passage, n’oublie pas d’y mettre son grain de sel. En nous faisant partager son point de vue, M. Raymond nous fait traverser cette pièce d’une nouvelle façon. M. Raymond est fasciné par Dom Juan qui embobine aussi bien les jolies demoiselles que les créanciers. Pour lui, Dom Juan est quelqu’un qui sort toujours son épingle du jeu, qui ne vit qu’au présent. Il n’a ni passé, ni futur et vit de minute en minute en proposant le mariage aux femmes de passage. Dom Juan, à force d’être polygame, va droit à la mort. La moralité de l’histoire serait celle-ci : l’homme ne peut pas vivre qu’au présent, sinon il disparaît. L’individu est tri-dimensionnel, il a un passé (la trace de ses ancêtres qui lui construit une identité) et un futur (qu’il construit au gré des événements de sa vie personnelle et sociétale). Si un individu décide de ne vivre qu’à l’instant T, il subit le courroux de Dieu et des hommes. Voilà la fascination qu’a M. Raymond vis à vis de ce personnage : quoi qu’il arrive, Dom Juan vit juste le moment. C’est pour cela qu’il séduit les femmes, puisqu’elles aiment qu’on parle d’elles dès que l’homme s’intéresse à elles.Ce spectacle a une qualité particulière, celle d'apporter au public une interprétation qui n’est propre qu’à son interprète, Serge Dangleterre. Cette production est une réflexion personnelle à travers un monument du théâtre qu'est Dom Juan. La mise en rythme du texte, des voix et des déplacements permettent à l’artiste de se démultiplier et de nous faire revivre une énième fois la destinée de Dom Juan. Parallèlement, ce ne sont pas des figures qui sont présentées mais bien des personnages qu’on voit exister à travers M. Raymond. Dans ces spectacles à une main, il est difficile pour le comédien de faire tenir en haleine son public. Comme Philippe Caubère, Boujenah ou Titof, Serge Dangleterre arrive à ménager le suspens jusqu’au bout pour dire que toute action doit être suivie d’un acte dans l’existence. Les intermittents seraient-ils les Dom Juan qui vont périr dans les enfers ? Espérons que non. Enfin, M. Raymond veut continuer d’exister : c’est ce qu’il a demandé à la fin de la représentation. Alors, pour M. Raymond, faîtes un effort à Matignon. S'il vous plaît !
Anne Laroutis
14/07/2003
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