Bérénice est l’une des tragédies raciniennes les plus mises en scène, depuis sa création en 1670 jusqu’à aujourd’hui. Les plus grands comédiens se sont appropriés les rôles de l’empereur de Rome et de sa bien-aimée, la reine étrangère, congédiée pour raison d’Etat ; mais jamais aucun n’a relevé la gageure d’interpréter seul la pièce entière. Jean-Marc Avocat est le premier à avoir osé tenter ce pari fou : à la scène, il est Titus, Bérénice et Antiochus tout à la fois. Seul pendant les deux heures de représentation, il se donne la réplique à lui-même. Il ne s’accorde aucun répit, restant présent sur scène même lors des entractes. Il nous apparaît ainsi sous toutes ses facettes : il est à la fois l’acteur, qui souffle et boit une gorgée d’eau entre deux actes, le metteur en scène, qui garde un œil critique sur sa propre performance, et les personnages de Racine, hommes et femmes, empereurs et serviteurs. Ce n’est pourtant pas une lecture qu’il nous donne ; pas plus qu’une récitation. Certes, les 1506 vers de Racine sont énoncés par sa seule et unique voix, mais il ne se contente pas de bien les articuler, il les incarne. En toute simplicité, avec une extrême sobriété, il est tour à tour chacun des personnages de la tragédie. Sans costume, sans décor, sans filet en quelque sorte, sous une vive lumière, il entre dans la peau de chaque protagoniste par de simples regards et de rares mouvements. Il module sa voix au gré des accents raciniens, ne cherchant par à imiter les intonations masculines ou féminines de Titus ou Bérénice, mais essayant simplement de restituer le texte et les émotions avec justesse. Jean-Marc Avocat laisse ainsi, avec humilité, la vedette aux mots. Il ne recherche pas les grands effets. Il semble avoir compris l’esprit de la dramaturgie de Racine, qui défendait la simplicité de sa pièce (en affirmant que le sang et les morts n’étaient pas nécessaires dans une tragédie) et qui prônait une action sobre et dépouillée.N’allez donc pas voir cette Bérénice dans l’espoir d’assister à un divertissement spectaculaire. Pour apprécier le travail du comédien et metteur et scène, il faut accepter de fermer les yeux et de se laisser bercer par les alexandrins classiques. Leur doux rythme agit comme une potion lénifiante. Portés par la belle voix grave de Jean-Marc Avocat, ils touchent notre corde sensible. On a beau connaître le texte par cœur, on se laisse de nouveau attendrir par les plaintes de la noble Bérénice face à cette nouvelle interprétation. Voilà la véritable performance du comédien : toucher les spectateurs sans ostentation, grâce aux simples inflexions de sa voix.