Gamines, c'est avant tout un superbe texte écrit par Sylvie Testud en 2006, son troisième roman, l’histoire de trois frangines, trois "gamines", vivant seules avec leur mère divorcée, dans la peur qu’"Il" vienne les kidnapper, mais aussi dans la joie et les petits bonheurs du quotidien. C’est le récit des bêtises, des réunions familiales, de la colo, des courses en sac à l’école, des vacances dans la famille italienne, bref, de tous les moments qui marquent l’enfance et restent imprimés à jamais dans notre mémoire d’adulte. Je dis "notre" parce que les souvenirs de Sybille, l’héroïne du roman (car, non, ce n’est pas une autobiographie, mais une "autofiction" !), ont un caractère universel. Si le roman touche tout un chacun, c’est parce qu’il retrace l’enfance des trois sœurs avec des mots simples, proches du parlé du quotidien ; c’est également parce qu’il sait mettre en relief les détails significatifs de la vie, ces petits riens qui sont sources de la réminiscence. Le texte est drôle et émouvant ; très rythmé, très dialogué, ironique et tendre à la fois, il sait capter l’attention du lecteur tout au long du récit.On en attendait donc l’adaptation théâtrale avec impatience et crainte. En effet, lorque l’on s’est plongé avec bonheur dans un univers romanesque, on éprouve toujours une envie irrésistible de retrouver les personnages et leur petit monde. En même temps, on se demande comment il est possible de restituer les lieux, les êtres, les ambiances décrites sur une scène de théâtre ; d’où une certaine appréhension avant d’assister à la représentation théâtrale. En l’occurrence, Sylvie Testud a compris qu’il ne fallait pas essayer à tout prix de transposer le texte en images. Au lieu de nous décevoir par une fade adaptation de son texte, elle nous surprend agréablement avec une pièce originale, qui conserve l’esprit du roman tout en acquérant son autonomie artistique. Gamines, la pièce de théâtre, ne reprend que quelques épisodes de l’enfance, les plus truculents, et ne montre de la période trentenaire qu’une scène, essentielle, en guise d’épilogue. Les coupes sont judicieuses. Mais plus judicieuse encore est la mise en scène : décor unique, unique acteur afin de représenter l’entourage, sons off discrets... tout est fait pour laisser la vedette aux trois sœurettes.Le pari est réussi : les trois comédiennes, Aure Atika en sage aînée, Elodie Bouchez en cadette turbulente et Nathalie Beyer en benjamine boulimique et influençable, sont parfaites, telles qu’on pouvait les imaginer à la lecture du roman. Le casting n’allait pourtant pas de soi, à l’instar du choix d’Albert Delpy pour incarner tous les personnages entourant les fillettes. Et, là encore, on est surpris d’y croire : en mère, en tante, en Pi-pi-pierre, en prêtre, en "Il", Albert Delpy nous convainc durant tout le spectacle. Evoluant dans une unique pièce, un hall au sol-damier, et aux murs gigantesques (car vus par le regard enfantin), les trois dames et leur cavalier, de visu ou en ombres chinoises, nous font rire ou sourire. Nous passons un moment agréable, entre réminiscence du roman et découverte d’une nouvelle œuvre, vivante, dynamique et finalement originale.