




Iliade
de Homère, Alessandro Baricco
Mise en scène de Luca Giacomoni, Marta Fallani (dramaturgie)
-
-
Du 04/05/2017 au 14/05/2017
Paris Villette
211 avenue Jean-Jaurès
Parc de La Villette
75019 PARIS
Métro Porte de Pantin (5)
01 40 03 72 23
Site Internet
Avec un groupe de comédiens professionnels et de prisonniers du centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin.
La guerre, ses héros et ses rois à l’issue d’un conflit qui dura plus de neuf ans. La violence de la guerre qu’appréhendent les détenus d’une centrale. Expérience unique en milieu fermé, puis ouvert. Dix épisodes où suintent les désirs des hommes, mais aussi leurs espérances.
Les arcades de l’ancienne bourse aux bestiaux peuvent évoquer le mur de scène d’un théâtre grec. A ce spectacle, pas le moindre accessoire, pas le moindre costume, seulement l’action brute et un texte fort, très physique, voire bestial, passé au crible des exercices de Meyerhold – théoricien russe de la mise en scène – afin que le corps réponde, supprimant toute hésitation, tout geste convenu ! Luca Giacomoni a dans ce spectacle imprimé sa poigne, au point d’en faire une véritable chorégraphie. Du texte d’Homère et de ses 16.000 vers, ne reste qu’un squelette épuré.
Les chaises pliantes en demi-cercle bornent le fond du plateau. Deux femmes sont assises, de chaque côté, au proscenium. La première – côté cour – est muette, mais tout à l’heure elle déclamera. C’est Hélène. Son teint ambré, sa chevelure à l’Angela Davis et le poing fermé nous éloignent du cliché habituel, la blonde incendiaire. Ce n’est plus "la précieuse marchandise" que se repassent les hommes. C’est un drapeau, planté sur un champ de bataille. On reconnaît vite Armelle Abibou qui a œuvré avec Bob Wilson et reçu les leçons de Kristin Scott-Thomas. Lui faisant face - côté jardin – une paysanne à la tête couverte entonne une mélopée. Sara Hamidi c’est son nom tisse l’atmosphère de cet Orient mythique avec lequel les Grecs commercent mais dont le mystère les inquiète. Ce chant est iranien, donc perse et, dans notre saga, il annonce déjà Les Guerres médiques. Il donne de l’épaisseur à l’action, tout en nous rapprochant des dieux, si présents dans Homère au point de se confondre avec les vivants. Dans cette adaptation, le seul reproche qu’on peut lui faire, c’est qu’ils les occultent pratiquement, se réservant parfois une invocation au Ciel. Mais un Ciel dépourvu de toute mythologie.
Revenons à l’action ! L’action débute par l’apparition de quinze personnages, qui occupent aussitôt l’espace. On les croirait sortis d’« Un Prophète », le film de Jacques Audiard sur notre monde carcéral. Jeans, survêt’, teeshirt, ils font face au public, avec dans leurs yeux une histoire ou un passé. Ils nous regardent comme des fauves qui savent qu’ils font peur et qui entretiennent cette peur à dessein, Mais très vite perce le désir de se savoir reconnu et de ne plus être un simple numéro. On les sent prêts à fondre. Leur différence est une cuirasse qui les rend la forts : « black, blanc, beur », comme dans la formule. Dès les premiers mots, leurs regards s’éclairent et il y a comme une contagion. A eux de prouver qu’ils sont des acteurs ! Et ils le prouvent. Leur passé est en arrière-plan et le metteur en scène joue admirablement sur cette ambiguïté. Voilà ce dont sera fait l’étoffe des héros… des héros et des rois d’il y a de plus de trois mille ans.
L’identité qu’ils endossent prend forme en énumérant leurs noms. Ils y éprouvent un plaisir électrique. Plaisir qui gagne vite le public, d’ailleurs surpris. Un homme roule des mécaniques, avec sa dégaine de caïd. Eh bien, c’est Agamemnon, le roi des rois. Enée parait fragile, c’est garçon qui a pourtant de l’avenir, puisqu’un jour il engendrera les Romains. Ulysse est loin d’être un perdreau de l’année, de plus il a le crâne rasé. Et Ménélas ? Rien à voir avec ce cocu un peu ridicule ! C’est presqu’un playboy et ses cheveux ondulent.
"Tout commença par un jour de violence", nous dit Alessandro Baricco, auteur du livre Homère, Illiade duquel la pièce est tirée et peut-être plus de l’épopée du vieux barde. La violence va sourdre. Et sous nos yeux. Personnellement j’ai assisté à la troisième partie : Un Jour de bataille. C’est l’épisode où, Troie, bien décidé à rompre la trêve arme la main d’un archer. Pandaros décoche une flèche et blesse Ménélas. Les combats reprennent. Les acteurs, pour simuler cette violence, font claquer leurs chaises puis les projettent sur le sol. Chacun livre sa partition avec la fougue et l’énergie des souvenirs peut-être trop récents. Une exécution pour l’honneur, ça existe. Rendez-vous à Palerme ou tout simplement à Marseille ! Diomède fait partie de ces héros, un peu bouchers, reconnaissons-le ! Il rivalise avec nul autre pour ce que les Grecs appellent l’aristie. C’est-à-dire un fait d’armes réalisé en état de transe. L’exemple le plus frappante est celui de la mort de Pandaros. Homère n’omet aucun détail : le trait lancé atteignit l’œil, puis "traversa les dents blanches. Coupant la langue à sa racine, le bronze inflexible ressortit, par la pointe, à l’extrémité du menton. Pandaros tomba du char, et sur lui retentirent ses armes aux reflets resplendissants. Effrayés, les chevaux rapides firent un écart, et, en Pandaros se délièrent l’âme et l’ardeur. Enée s’élança (…) avec son bouclier et sa longue lance, de peur que les Achéens ne lui arrachassent le cadavre. Il tournait autour, comme un lion confiant en sa vaillance (…)".
Une scène pareille, mise en place par des acteurs dont certains ignoraient ce qu’est le théâtre exige de la rigueur, un long training et des heures de mémorisation en cellule. Aux yeux de l’administration pénitentiaire, cet effort concourt à la réintégration du délinquant. Tout homme a droit à sa rédemption. Mais c’est une longue conquête qui s’est opérée ici, d’abord en milieu fermé, c’est-à-dire entre les murs de la prison, puis en milieu ouvert, à l’extérieur, dans des salles de répétition et encadré.
La confrontation de ces « acteurs sur le tas » avec des comédiens professionnels constitue un formidable viatique, et un enrichissement des deux côtés, d’autant que, pour les uns ou pour les autres, les cas varient. Tel détenu a purgé sa peine, mais il s’est lancé dans l’expérience théâtrale en prison. Il reviendra donc jouer, libre. Tel autre camarade n’aura pas cette chance. Après avoir paru sur cette scène, il rentrera le soir en cellule. Une heure, pendant dix jours, il saura ce que le mot liberté veut dire. Comme au football, tous ces acteurs jouent "collectif". Difficile de citer leurs noms. Ils se valent tous et ils tissent le spectacle. Ils en ont conscience, aussi quand à la fin ils viennent saluer, une bouffée de fierté se lit dans leurs yeux. Ils applaudissent le public et, se tournant les uns vers les autres, s’étreignent ou s’embrassent. Le désir des hommes passent par le théâtre.
Les arcades de l’ancienne bourse aux bestiaux peuvent évoquer le mur de scène d’un théâtre grec. A ce spectacle, pas le moindre accessoire, pas le moindre costume, seulement l’action brute et un texte fort, très physique, voire bestial, passé au crible des exercices de Meyerhold – théoricien russe de la mise en scène – afin que le corps réponde, supprimant toute hésitation, tout geste convenu ! Luca Giacomoni a dans ce spectacle imprimé sa poigne, au point d’en faire une véritable chorégraphie. Du texte d’Homère et de ses 16.000 vers, ne reste qu’un squelette épuré.
Les chaises pliantes en demi-cercle bornent le fond du plateau. Deux femmes sont assises, de chaque côté, au proscenium. La première – côté cour – est muette, mais tout à l’heure elle déclamera. C’est Hélène. Son teint ambré, sa chevelure à l’Angela Davis et le poing fermé nous éloignent du cliché habituel, la blonde incendiaire. Ce n’est plus "la précieuse marchandise" que se repassent les hommes. C’est un drapeau, planté sur un champ de bataille. On reconnaît vite Armelle Abibou qui a œuvré avec Bob Wilson et reçu les leçons de Kristin Scott-Thomas. Lui faisant face - côté jardin – une paysanne à la tête couverte entonne une mélopée. Sara Hamidi c’est son nom tisse l’atmosphère de cet Orient mythique avec lequel les Grecs commercent mais dont le mystère les inquiète. Ce chant est iranien, donc perse et, dans notre saga, il annonce déjà Les Guerres médiques. Il donne de l’épaisseur à l’action, tout en nous rapprochant des dieux, si présents dans Homère au point de se confondre avec les vivants. Dans cette adaptation, le seul reproche qu’on peut lui faire, c’est qu’ils les occultent pratiquement, se réservant parfois une invocation au Ciel. Mais un Ciel dépourvu de toute mythologie.
Revenons à l’action ! L’action débute par l’apparition de quinze personnages, qui occupent aussitôt l’espace. On les croirait sortis d’« Un Prophète », le film de Jacques Audiard sur notre monde carcéral. Jeans, survêt’, teeshirt, ils font face au public, avec dans leurs yeux une histoire ou un passé. Ils nous regardent comme des fauves qui savent qu’ils font peur et qui entretiennent cette peur à dessein, Mais très vite perce le désir de se savoir reconnu et de ne plus être un simple numéro. On les sent prêts à fondre. Leur différence est une cuirasse qui les rend la forts : « black, blanc, beur », comme dans la formule. Dès les premiers mots, leurs regards s’éclairent et il y a comme une contagion. A eux de prouver qu’ils sont des acteurs ! Et ils le prouvent. Leur passé est en arrière-plan et le metteur en scène joue admirablement sur cette ambiguïté. Voilà ce dont sera fait l’étoffe des héros… des héros et des rois d’il y a de plus de trois mille ans.
L’identité qu’ils endossent prend forme en énumérant leurs noms. Ils y éprouvent un plaisir électrique. Plaisir qui gagne vite le public, d’ailleurs surpris. Un homme roule des mécaniques, avec sa dégaine de caïd. Eh bien, c’est Agamemnon, le roi des rois. Enée parait fragile, c’est garçon qui a pourtant de l’avenir, puisqu’un jour il engendrera les Romains. Ulysse est loin d’être un perdreau de l’année, de plus il a le crâne rasé. Et Ménélas ? Rien à voir avec ce cocu un peu ridicule ! C’est presqu’un playboy et ses cheveux ondulent.
"Tout commença par un jour de violence", nous dit Alessandro Baricco, auteur du livre Homère, Illiade duquel la pièce est tirée et peut-être plus de l’épopée du vieux barde. La violence va sourdre. Et sous nos yeux. Personnellement j’ai assisté à la troisième partie : Un Jour de bataille. C’est l’épisode où, Troie, bien décidé à rompre la trêve arme la main d’un archer. Pandaros décoche une flèche et blesse Ménélas. Les combats reprennent. Les acteurs, pour simuler cette violence, font claquer leurs chaises puis les projettent sur le sol. Chacun livre sa partition avec la fougue et l’énergie des souvenirs peut-être trop récents. Une exécution pour l’honneur, ça existe. Rendez-vous à Palerme ou tout simplement à Marseille ! Diomède fait partie de ces héros, un peu bouchers, reconnaissons-le ! Il rivalise avec nul autre pour ce que les Grecs appellent l’aristie. C’est-à-dire un fait d’armes réalisé en état de transe. L’exemple le plus frappante est celui de la mort de Pandaros. Homère n’omet aucun détail : le trait lancé atteignit l’œil, puis "traversa les dents blanches. Coupant la langue à sa racine, le bronze inflexible ressortit, par la pointe, à l’extrémité du menton. Pandaros tomba du char, et sur lui retentirent ses armes aux reflets resplendissants. Effrayés, les chevaux rapides firent un écart, et, en Pandaros se délièrent l’âme et l’ardeur. Enée s’élança (…) avec son bouclier et sa longue lance, de peur que les Achéens ne lui arrachassent le cadavre. Il tournait autour, comme un lion confiant en sa vaillance (…)".
Une scène pareille, mise en place par des acteurs dont certains ignoraient ce qu’est le théâtre exige de la rigueur, un long training et des heures de mémorisation en cellule. Aux yeux de l’administration pénitentiaire, cet effort concourt à la réintégration du délinquant. Tout homme a droit à sa rédemption. Mais c’est une longue conquête qui s’est opérée ici, d’abord en milieu fermé, c’est-à-dire entre les murs de la prison, puis en milieu ouvert, à l’extérieur, dans des salles de répétition et encadré.
La confrontation de ces « acteurs sur le tas » avec des comédiens professionnels constitue un formidable viatique, et un enrichissement des deux côtés, d’autant que, pour les uns ou pour les autres, les cas varient. Tel détenu a purgé sa peine, mais il s’est lancé dans l’expérience théâtrale en prison. Il reviendra donc jouer, libre. Tel autre camarade n’aura pas cette chance. Après avoir paru sur cette scène, il rentrera le soir en cellule. Une heure, pendant dix jours, il saura ce que le mot liberté veut dire. Comme au football, tous ces acteurs jouent "collectif". Difficile de citer leurs noms. Ils se valent tous et ils tissent le spectacle. Ils en ont conscience, aussi quand à la fin ils viennent saluer, une bouffée de fierté se lit dans leurs yeux. Ils applaudissent le public et, se tournant les uns vers les autres, s’étreignent ou s’embrassent. Le désir des hommes passent par le théâtre.
Pierre Breant
08/05/2017
- Episode1 : la colère d’Achille, le jeudi 4 à 20h
- Episode 2 : le duel pour Hélène, le vendredi 5 à 19h
- Episode 3 : un jour de bataille, le samedi 6 à 20h
- Episode 4 : la défaite des Achéens, le dimanche 7 à 16h
- Episode 5 : dans le camp ennemi, le mardi 9 à 20h
- Episode 6 : l’assaut du rempart, le mercredi 10 à 20h
- Episode 7 : brûler les navires, le jeudi 11 à 20h
- Episode 8 : la mort de Patrocle, le vendredi 12 à 19h
- Episode 9 : la mort d’Hector, le samedi 13 à 20h
- Episode 10 : la fin de la guerre, le dimanche 14 à 16h.
- Episode 2 : le duel pour Hélène, le vendredi 5 à 19h
- Episode 3 : un jour de bataille, le samedi 6 à 20h
- Episode 4 : la défaite des Achéens, le dimanche 7 à 16h
- Episode 5 : dans le camp ennemi, le mardi 9 à 20h
- Episode 6 : l’assaut du rempart, le mercredi 10 à 20h
- Episode 7 : brûler les navires, le jeudi 11 à 20h
- Episode 8 : la mort de Patrocle, le vendredi 12 à 19h
- Episode 9 : la mort d’Hector, le samedi 13 à 20h
- Episode 10 : la fin de la guerre, le dimanche 14 à 16h.

AVIGNON
L'ORIFLAMME
de Aude De Tocqueville
Mise en scène de Séverine Vincent
La direction veut mettre Tony à la retraite, il a presque 70 ans. Mais lui ne veut pas, il aime son métier, gardien d'immeuble, il aime ses locataires, il aime les potins. Que ferait-il sans cet environnement ? Alors il refuse, et pour asseoir sa décision, il nous raconte sa vie avec les...
L'avis de Geneviève Brissot
L'ORIFLAMME

AVIGNON



Solitude d'un ange gardien
de Aude De TocquevilleMise en scène de Séverine Vincent
La direction veut mettre Tony à la retraite, il a presque 70 ans. Mais lui ne veut pas, il aime son métier, gardien d'immeuble, il aime ses locataires, il aime les potins. Que ferait-il sans cet environnement ? Alors il refuse, et pour asseoir sa décision, il nous raconte sa vie avec les...
L'avis de Geneviève Brissot
AVIGNON
Théâtre du Roi René
LES GARCONS DE LA BANDE
de Mart Crowley,adaptation : Antoine Courtray
Mise en scène de Antoine Courtray
Théâtre du Roi René
LES GARCONS DE LA BANDE
de Mart Crowley,adaptation : Antoine Courtray
Mise en scène de Antoine Courtray
AVIGNON
Théâtre du Chêne Noir
UNE HEURE A T'ATTENDRE
de Sylvain Meyniac
Mise en scène de Delphine De Malherbe
Théâtre du Chêne Noir
UNE HEURE A T'ATTENDRE
de Sylvain Meyniac
Mise en scène de Delphine De Malherbe