Le Misanthrope de Dimitri Klockenbring n'est pas une mise en scène en trop du répertoire de Molière. Pour preuve, le Lucernaire invite le public à découvrir cette pièce récompensée en 2010 par le Prix Jeunes metteurs en scène du Théâtre 13 (Prix du public et Prix du jury). Comédien de formation, ses prestations sont remarquées tant par le répertoire classique que contemporain. Insatiable vorace de théâtre, il s'inscrit au Conservatoire national supérieur d'art dramatique pour y suivre une formation à la mise en scène.Découvrons justement ce Misanthrope, interprété dans le rôle principal d'Alceste, par Tristan Le Goff. Molière connaît des tourments dans sa vie conjugale au moment où sa plume calligraphie les intempérances d'Alceste. Sa femme, Armande Béjard, s'est éprise d'un comédien de la troupe. Sa dernière pièce, Tartuffe, a été un échec, la santé lui joue des tours, il s'offusque de l'incompétence des médecins et la toux le contagionne un peu plus chaque jour.La scène s'éclaire sur un plateau dénudé de tout décor. Piqué par une mouche, Alceste prend à partie Philinthe, son ami de longue date, en s'emportant contre les hommes et le monde. La violence des propos dénonce l'hypocrisie à la cour alimentée par les bourgeois peu scrupuleux et nombrilistes. Le paraître, la flatterie, l'acceptabilité par les autres, briller en société, une déclinaison des apparences déclamées avec dégoût et conjoncturellement rejetées par Alceste. Il se refuse de vivre dans un monde doré où les hommes de lettre, de sciences et de l'art s'affichent d'aise dans les salons, au côté de donzelles empourprées, ignares et s'esclaffant plus par stupidité que par intelligence.Les codes de ce langage ne sont pas faits pour lui convenir, d'où cette manifestation de colère jusqu'à plus souffle. Circonspect, Philinthe essaie de réconcilier Alceste avec lui-même et avec la société. Point par point, il avance dans l'échiquier et déstabilise le jeu d'Alceste grâce à un subterfuge imparable, la modération du personnage et le calme de ses propos. Bouleversé jusque dans son intimité, Alceste n'en finit pas d'être ridicule. Atrabilaire, ses amours avec Célimène prennent l'apparence d'un lit d'orties blanches.Comédie caustique, Dimitri Klockenbring restitue de façon éponyme le Misanthrope dans une mise en scène abrupte et résolument contemporaine. Du XVIIe au XXIe siècle, les fondamentaux sociaux se sont élargis dans des structures matérielles. L'homme bafoue les codes du langage et c'est à lui-même qu'il s'en prend. La société change par le fait que les mentalités sont bouleversées par l'omniprésence illusoire des réseaux sociaux. Lesquels obligent à qui veut de se dévêtir virtuellement en s'exposant à des risques irréversibles. Alceste, en la prestation de Tristan Le Goff, incarne l'homme d'aujourd'hui à la confluence du bourgeois-bohême et du paraître.Un clin d'œil au ridicule de situation porté avec malice et dérision. Une mise en scène intelligente et factuelle qui pose le doigt sur l'adaptation des œuvres classiques en une transversalité contemporaine. Un travail conceptualisé autour des brillantes interprétations Tristan Le Goff, Lorraine de Sagazan (Célimène) et Thomas Zaghedoud en Philinthe. La prestation des autres comédiens n'est pas à mettre au second plan car leurs interventions respectives apportent beaucoup de fluidité et d'intensité au Misanthrope de Dimitri Klockenbring.Un grand texte classique répliqué selon l'original à voir car revisité pour la société actuelle.