La scène, un grand fatras d'objets hétéroclites posés sur des étagères en bois de récupération. Des gamelles de cuisine entassées dans un coin attendent d'être récurées. La tempête souffle violemment. Un homme de dos, lève les bras au ciel, les écarte, les hisse vers une limite infinie, les mains se rejoignent, une apologie à la prière, la main gauche épouse quelques secondes l'empreinte d'une main peinte sur un tableau. Qui est-il, que fait-il ? Le vent souffle de plus en plus fort.Au premier plan, une table est dressée par un maitre d'hôtel, tiré à quatre épingles, affûté dans ses faits et gestes, l'œil précis, la chevelure précipitée dans l'élan mécanique qui l'actionne. Telle une marionnette, il disparaît dans l'infortune du décor. La tempête souffle violemment. L'homme exaucé prend place à la table et commence à déjeuner.L'histoire créée par Shakespeare en 1611 et adaptée par Irina Brook, la fille de Peter Brook, raconte le naufrage de Prospero et de sa fille Miranda, accompagnés d'Ariel et de Caliban. Prospero, victime de la cruauté de son frère, a été déchu de son titre de Duc de Milan et s'est retrouvé sur le ban de l'exil via un bateau.Celui-ci ayant fait naufrage, c'est une île déserte qui leur prête plage de sable fin et une nature à explorer pour apprendre à survivre. Sur le sable de la plage, le temps a gravé le masque d'une nouvelle existence aux rescapés, bien loin des fastes et des considérations antérieures. Les livres embarqués par Prospero n'ont pas jeté l'encre dans le péril et lui ont permis de s'initier à la magie et de dompter les éléments naturels et les esprits. Son sésame, une petite baguette en bois déjoue le temps au temps, change la nature des choses à sa convenance.Ariel est un jeune homme élancé prompt à soulever la positivité de l'instant présent, un souffle de vie qui mute les difficultés du quotidien en bonheur constant. Miranda, la charmante jeune femme qui, aujourd'hui, devrait être heureuse de souffler ses trente ans, se noie dans la perplexité du moment. Elle clame haut et fort le chagrin avec des mots choisis pour la circonstance. Ariel, personnage intensément magique, ondule cet anniversaire d'engouement et de joie. Au programme, musique gaie, gâteau préparé sous chapeau et d'autres surprises viennent réconforter Miranda. Ce énième anniversaire fêté sur l'île ne glissera pas dans les sables mouvants de l'intemporalité.Caliban, qui complète ce tableau familial depuis le naufrage, sa condition d'homme civilisée a immergé dans les abysses de l'océan. C'est un être négatif, isolé, violent et bestial qui, désormais, en émerge. Ainsi se coordonne l'existence de ces hommes et de cette femme. L'île est quelque peu devenue leur Eden. Chacun s'occupe et apprivoise le temps comme il vient.Est-ce la magie exercée par Prospero ou les remords qui conduiront son frère, Antonio, accompagnés d'Alonso, le roi de Naples et de son fidèle Gonzalo à se retrouver. Caliban, aidés de deux acolytes de mauvaise fortune, cherchent à nuire à Prospero et fomentent un stratagème pour s'approprier son pouvoir.Prospero, l'âme noble dans un corps propre aux vertus de la vie, fait fi des diableries et autres mesquineries du passé et se réconcilie avec qui de droit. Ferdinand, le fils d'Alonso, apparaît de nulle part et métamorphose de sa présence le quotidien de Miranda.La Tempête, ainsi mise en scène par Irina Brook, offre un spectacle de belle facture, fidèle à la plume de Shakespeare. A l'intrigue d'une vie passablement menée sur une île préoccupée depuis douze ans par quelques éléments aussi étranges et différents les uns des autres, cette adaptation transpire de bonheur par le côté féérique et ésotérique magnifiés de la baguette d'Irina Brook.Cette tragicomédie se veut un message, un message où l'espoir luit dans l'huis de la prise en compte de l'instant présent. Le passé s'inscrit dans les pages de la mémoire; le jour levé, c'est une nouvelle page qui grave l'instantané ; demain, qu'en sera-t-il ? Qui vivra, verra.La prestation de l'ensemble des comédiens est extraordinaire. Une interprétation sous le signe de la spontanéité, une richesse d'exécution au fil de la pièce, un dynamisme permanent. Cette Tempête, un vent de jubilation.