Vous voulez trois excellentes raisons d’aller voir La Vie devant soi, l’adaptation à la scène du roman d’Emile Ajar / Romain Gary, mis en scène par Didier Long ? Pas de problème ! La première bonne raison, c’est que La Vie devant soi est un roman bouleversant : l’histoire très émouvante de Momo, jeune enfant musulman, abandonné par ses parents à l’âge de quatre ans et recueilli par Madame Rosa, vieille bonne femme juive, ancienne prostituée, ancienne déportée aussi, qui s’occupe de tous les enfants laissés sur le carreau par les prostituées malencontreusement engrossées. Gary, qui a obtenu son deuxième Goncourt avec cette fiction, sous le pseudonyme d’Emile Ajar, raconte cette belle histoire d’amitié, voire d’amour, située dans le Belleville des années soixante, avec une langue truculente, pleine d’humour et de tendresse à la fois. Les mots du jeune Momo, écorché vif, qui a trouvé une mère en la vieille juive, sont retranscrits avec toute leur verve et leur innocence ; quant à la sagesse et à la générosité de Madame Rosa, elle fait d’elle un personnage magnifique.Incarnée par Myriam Boyer, elle devient encore plus touchante. C’est la deuxième raison pour laquelle La Vie devant soi sur la scène théâtrale est incontournable. Myriam Boyer, dont il n’est pas nécessaire de vous raconter la carrière, qui a derrière elle une longue expérience de théâtre et de cinéma, a obtenu, pour cette pièce, son second Molière, en 2008 (le premier, elle l’avait emporté en 1997 pour Qui a peur de Virginia Woolf ? d'Edward Albee). C’est une récompense bien méritée car elle interprète parfaitement Madame Rosa ; elle en a l’apparence un peu brute, mais aussi la tendresse et le grand cœur qu’on aperçoit au détour d’un mot ou d’un geste.A côté d’elle, officient trois comédiens talentueux, à commencer par le jeune Aymen Saïdi (Momo), qui porte la pièce avec elle. C’est une troisième bonne raison d’aller voir le spectacle. A laquelle il faut ajouter une mise en scène sobre mais dynamique (ça fait finalement quatre bonnes raisons) : les tableaux s’enchaînent avec de simples fondus au noir et une petite musique récurrente, qui marquent les ellipses temporelles. Le décor, unique, évoque avec justesse l’intérieur de cette mama juive, issue d’un milieu modeste, dans les années soixante. Les entrées et sorties de personnages se font derrière des panneaux à fleurs transparents, légère touche de poésie de la scénographie, qui rappelle celle du texte. Enfin, l’utilisation de la voix-off de Momo, judicieusement insérée, permet de nous faire entendre tels quels les mots de Gary. C’est superbe !Et s’il faut encore une bonne raison d’aller voir cette version théâtrale de La Vie devant soi, il en est une autre, spécialement pour les Lyonnais : la pièce est donnée au théâtre de la Croix Rousse, où Myriam Boyer, née à Lyon, a fait ses débuts, à l’âge de 17 ans, et où elle n’était jamais revenue jouer depuis.