Un vent léger et frondeur souffle au théâtre du Lucernaire. Côté cour, un piano. Côté jardin, une table avec une bouteille de vin, un paquet de cigarettes, un bouquet de pinceaux. Nous sommes dans un cabaret des années folles à Montparnasse et c’est Hélène Delavault, grande chanteuse lyrique trouvant également son bonheur – et le nôtre – du côté du cabaret et de la variété, qui mène la soirée. La mezzo-soprano a tissé, avec son compère Vincent Colin, un montage de textes et de chansons qui fait revivre le Paris des ateliers et des bistrots, de la Coupole au Dôme, où, sous l’aile de dada puis du surréalisme, écrivains, peintres, sculpteurs, musiciens, venus du monde entier, inventent l’art du XXe siècle.Entre la cantatrice-comédienne, l’excellent comédien Philippe Blancher et le pétulant pianiste Cyrille Lehn, les mots et les notes se répondent et se mêlent pour nous offrir la créativité débridée, le rêve et la rébellion, la passion et la dérision, bref l’esprit poétique de cette période délirante et incandescente. On aurait envie de tout noter, de retenir toutes les anecdotes, les citations, celles d'Apollinaire et André Breton, de Picasso et Cocteau, Colette et Soupault, Eluard et Cendrars, Artaud et Desnos – heureuse idée celle de projeter au fur et à mesure, sur la tranche de la table, le nom des auteurs choisis. Et que dire des chansons qu’Hélène Delavault enlève avec une gouaille et une grâce délectables. Mon Homme sur un mode un tantinet décalé (répertoire de Mistinguett), La Femme est faite pour l’homme (Arletty) à désespérer les féministes, l’éternel Parlez-moi d’amour (Lucienne Boyer), l’irrésistible Tango stupéfiant (Marie Dubas), le drôlissime Mariage mondain. Entre autres. Darius Milhaud, Satie, Gabriel Fauré sont là aussi. Un régal.Toute cette gaieté n’empêche pas des moments graves. Car la désolation de14-18 n’est pas loin. La provocante violence du texte de Benjamin Péret avec son leitmotiv le doigt dans le trou du cul (Epitaphe sur un monument aux morts de la guerre) ou la bouleversante simplicité de La Suppliante – une mère dont le fils n’est pas revenu – nous le rappellent. Oui, un vent de liberté souffle sur la scène du Lucernaire. Et quand, dans sa robe de velours noir, la belle Hélène chante les vers d’Apollinaire, J’allume au feu du jour ma cigarette / Je ne veux pas travailler je veux fumer, et grille pour de bon sa cibiche, on pense à ce malheureux Tati sans pipe et on est tout simplement ravi . "(…) Il nous faut peut-être réapprendre à chanter et à gueuler, en toute liberté, ce que nous avons sur le cœur", suggèrent sur le flyer les auteurs de ce spectacle délicat, tonique, rafraichissant comme une boule de neige. Ma foi, en guise de vœux, qui dit mieux !