Calé dans le fauteuil de la petite salle du Théâtre du Gymnase, le spectateur, la gorge nouée, plonge dans l'ambiance hitchkoquine de Nous sommes une femme, le rideau tiré. Claude, une femme belle de ses rondeurs, s'applique à affûter un grand couteau de cuisine sur un affiloir. Tel le va-et-vient de l'archet sur le violon, le fil de la lame effleure quelques notes à trancher le silence planant sur la scène. A deux fois, la sonnette retentit à l'entrée de l'appartement. Imperturbable, la maîtresse des lieux se dirige, le regard noir, vers son visiteur du soir. Sacha, dit-elle s'appeler, se présente guillerette dans le salon, l'œil perdu et amusé. Sacha, diminutif du prénom russe Alexandre et Alexandra, se porte en identité féminine. Claude, véhémente, apostrophe son hôte à la physionomie lactescente. Le décor, noir corbeau, se pare de rigueur à la bonhomie de Sacha, godiche en niaiserie, potiche de fraîcheur dans la répartie de ses propos.Conflit délictuel quant à une subjective cohabitation mise en entrefaite à cause des deux prénoms, Claude et Sacha. Les rencontres hasardeuses sur internet déménagent les bonnes mœurs, mais ne permettent pas de définir le genre, masculin ou féminin, des tchatcheurs, ni leur ADN. La pièce, Nous sommes un femme, dénonce l'incontinence de caractère entre une femme de poids, chercheur au CNRS, et une autre futile, actrice convaincue, enfin pas tout à fait, plutôt hôtesse d'accueil. Dialogues ingénieux où pêle-mêle Ionesco, Kafka, Queneau s'invitent à jouer les trublions de la situation sarcastique, phraséologie oblige. Le verbe est juste, il se pose délicatement comme la colombe sur la branche.Nouveau coup de sonnette à la porte d'entrée de l'appartement. Une voix ferme et masculine traverse le couloir. Claude, fortement étonnée de cette nouvelle intrusion, n'a pas le temps d'épiloguer les présentations, que la fougueuse et enivrée Sacha donne libre accès au nouveau venu... chez Claude. Erreur de date ou confusion infusée du web, il va sans dire que cet invité imprévu, genre masculin, ne laisse pas indifférent la gente féminine.
Camille, beau brun, charmant et charmeur, facteur à ses heures quand la cité sommeille, sort de sa sacoche quelques tours de magie et livre, sans accusé de réception, des airs de guitare, touche personnelle.La pièce s'emporte dans un tourbillon final où chansons et sentiments tricotent le tempo mené tambour battant par trois comédiens, trois truculent comédiens : la sublime Séverine Delbosse, la pétillante Charlotte Matzneff et le talentueux Thierry Batteux. C'est en maestro que Jean-Philippe Daguerre a signé la mise en scène de cette pièce. Il enthousiasme encore une fois le public par la qualité du répertoire théâtral travaillé et interprété par une génération de comédiens attachants, sincères et volontaires. Ses mises en scène coulent des jours heureux dans les théâtres d'avant - Seine. Avec Jean-Philippe, le théâtre s'habille en Daguerre. La compagnie Le Grenier de Babouchka foisonne de pièces géniales moissonnées dans un grand vent d'auteurs cueillant la prose colorée pour le théâtre. Nous sommes une femme, Nous sommes des spectateurs amoureux de cette belle pièce.