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 Création d’un des auteurs les plus talentueux (Prix Italia 1993). Interprétation hors-pair digne de l’Actor Studio. On y croit et on s’y projette.
Un canapé-lit ouvert. Tandis que sa compagne dort, ou fait semblant dormir, un homme émerge des draps. Dressé sur son séant, il regarde devant lui, les yeux fixes. Se tournant vers la nymphette, il lui pose deux ou trois questions basiques, du style "Quel âge as-tu ? Ca fait longtemps que…" La fille répond de manière évasive, avant de décider de se lever. D’où la réaction fulgurante de l’homme : "Pas question, j’ai payé pour la nuit". Le spectateur a compris : la chambre minable est celle d’un hôtel borgne et c’est le face à face d’une prostituée avec son client. Le dialogue qui s’engage a tout d’un interrogatoire de police, émaillé de réponses imprécises, mais Lisa mime la somnolence. Ce qui encourage le client à parler, parler, parler pour se lancer dans une véritable logorrhée.
Le délire de l’un, face à la passivité de l’autre, n’est pas sans rappeler le Bel Indifférent de Cocteau, seulement inversé. Le langage devient violent, trivial mais jamais vulgaire. Cruel surtout. Le plaisir du client est maintenant dans la domination. Une domination verbale qui peut très bien dégénérer. Tout cela n’est que le quotidien d’une pute, prête à encaisser. Aux deux sens du terme. Mais notre client se meut soudain en moraliste. Son punching ball devient pitoyable et il brosse à cette pauvre fille le tableau le plus sombre de la prostitution : souteneur, maladies, mauvaises habitudes, drogue, alcool, et, pour conclusion, la déchéance. Le discours, sous forme de variations musicales, est une dégringolade, de palier en palier. Mais, à l’évocation du futur, Lisa sort de son apathie. Elle évoque la reconversion et, soulevant le voile de son passé - éducation, famille – aspire à une existence de petite bourgeoise. Cet attendrissement fait l’objet d’une douche froide pour la client qui, après avoir joué au bon papa, s’échappe, la queue entre les jambes. « Ces deux pauvres humains » ont tenté de s’écouter à défaut de s’aimer – ils ont pourtant fait les gestes de l’amour !
L’action de la pièce rebondit et l’on se trouve cette fois chez le client qui apparaît sous son vrai jour. C’est un écrivain en devenir – je ne dis pas un raté car le talent peut se cacher longtemps – mais sans travail. Pour survivre, il sous-loue une partie de sa piaule. Le colocataire, arrogant, méprisant, le terrifie. Eprouve-t-il une simple phobie ? Mais si l’individu était véritablement dangereux ?... Lisa qui resurgit est comme le révélateur du photographe. Que va-t-il se produire ?
Alain Michel, qui a déjà monté Boomerang de Bernard da Costa, est très à l’aise dans l’imaginaire de cet auteur. Da Costa, connu internationalement, avec des centaines de pièces à la clef, a été joué un peu partout. Notamment à la Comédie-Française avec Messe pour un sacre viennois. Il est à l’origine du phénomène café-théâtre dont il a écrit l’histoire. C’est en interviewant, comme journaliste, Laurent Terzieff, qu’il a la révélation de sa carrière. Et les uvres se succèdent, comme Trio pour deux canaris, Frédéric II et Voltaire, Le Boxeur et la Violoniste face-à -face Marcel Cerdan-Ginette Neveu dans l’avion où ils sombreront. Mais ce qui a fait le succès de Bernard da Costa, c’est Les Adieux de la Grande Duchesse avec Tsilla Chelton.
Alain Michel, quant à lui, a monté au TNO Boomerang. Il retrouve son auteur avec Lisa. Une création. Le jeu, très Actor Studio, est précis, direct, efficace. Les interprètes hors-pairs. Alexandre de Pardailhan campe le client avec un tel réalisme qu’on se demande s’il ne se livre pas à une psychothérapie personnelle, régurgitant un texte difficile dans un état de semi-délire. Il met également le doigt sur un phénomène jungien : la projection. Selon le psychanalyste, quand il s’attaque Lisa et la couvre d’injures, il "accroche au crochet" ses propres turpitudes et le dégoût qu’il a de lui-même. Roxane Flochlay, emportée par son partenaire, est un peu comme le serpent face à la mangouste. Elle se laisse fasciner mais livre en fin de compte une âme fraîche qu’elle sait rendre dans un jeu pudique. Rémi Picard, colocataire plus que récalcitrant, est la brute épaisse qu’on souhaite détester ; il est si différent des personnages qu’il incarne habituellement.
Ce spectacle, qui est une création, vaut le dérangement. Souhaitons que le TNO prolonge les représentations ! |
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Mis à jour le 15/12/2017
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