 La prostitution, un univers tabou gardé sous silence alors qu’il y a tellement de choses à en dire.
Fille du paradis (petit clin d’il sans doute aux Enfants du paradis), une adaptation de l’uvre littéraire Putain de Nelly Arcan (de son vrai nom Isabelle Fortier) où elle raconte son expérience, sa vie d’escorte girl (bah oui, ça fait plus chic que de dire "putain"). Pourtant c’est bien ce qu’elle est : une jeune femme, une étudiante à l’Université de Montréal et... une pute. Ahmed Madani s’associe à Véronique Sacri (très jolie comédienne que l’on a pu voir notamment dans le Hamlet de Peter Brook ainsi que L’Avare de Roger Planchon (pour ne citer qu’eux), pour nous transmettre les mots crus de Nelly Arcan.
Durant plus d’une heure Véronique Sacri est seule sur scène et elle se confie, elle se livre. Le plus simplement du monde. Sans chercher à nous charmer, à nous dégouter, ou à nous apitoyer, à nous engueuler, ou encore à se plaindre. Non. A peine le public est-il installé, qu'elle s’approche de lui et l'interpelle. Sans que l’on ne s’en rende compte, sans même un changement de lumière ou un temps de silence, de concentration et de recueillement comme il est de coutume au théâtre pour signifier que le spectacle va commencer.
Elle le dit elle-même, elle n’a pas l’habitude de parler aux gens. D’ailleurs, que peut-elle bien raconter ? Mais elle prévient : une fois qu’elle est lancée, on ne pourra plus l’arrêter. Et bien, quel choc ! Les mots sortent, nus, crus, vrais, et c’est un véritable uppercut que l’on se prend en pleine face. La comédienne délivre juste son histoire et ses pensées. Alors que sur l'affiche du spectacle, elle se retrouve à demi-nue, toute en finesse et en suggestion, sublime, sensuelle, sexuelle, irrésistible ; sur scène, ce n’est pas son corps qui est mis à nu, c’est tout le contraire : vêtue d’un ensemble noir tout du long, c’est bien son expérience, sa vision, et nous-mêmes qu’elle met à nu. Nous, les femmes, les mères, les filles, toutes désireuses d’être désirées si ardemment, si violemment, à faire tourner les têtes et faire perdre la raison aux hommes. Nous, femmes, qui courront après un idéal de beauté, où finalement la seule chose qui nous importe réellement, c’est d’être belle, d’être la plus belle et ce, pour toujours !
Et puis, elle met également à nu les hommes, les pères, les clients. Dire qu’ils ne sont réduits qu’à des morceaux d’hommes, des bouts de queue qui défilent dans son lit, qui défilent en elle serait un mensonge. Elle leur parle de leur femme, de leur fille. Eux qui seraient indignés et choqués, profondément bouleversés même, s'ils apprenaient que leur propre petite fille fait la pute, oublient bien vite qu’elle-même est fille d’un père.
Sur un plateau nu accueillant juste une petite estrade en fond de scène et une chaise à cour, les seules variations techniques de ce "seule en scène" sont la présence de temps à autre de musique et les variations de lumière. Les lumières se font plus discrètes, intimes presque, avec, à certain moment, un unique projecteur qui éclaire le visage de Véronique, pour ajouter à l’intensité (s’il en est besoin) des mots sortant de sa bouche.
Parfois, le plateau et la salle sont plongés dans le noir, laissant les mots se frayer un chemin jusqu’à nous, dans cette obscurité qui nous rappelle nos propres angoisses, questionnements et autres moments de solitude. Et pour accompagner Véronique Sacri et Nelly Arcan, une autre femme, elle aussi marquée : PJ Harvey. Du punk, du rock, du blues, une voix féminine puissante et vibrante qui prend aux tripes et remue.
"I long for, I long for, I long for my home, I long for a land where no man was ever known With no neurosis, no psychosis, No psychoanalysis and no sadness."
Vous l’aurez compris, c'est un spectacle coup de poing, poignant de vérité. Les hommes sont quelque peu gênés mais les femmes, elles, applaudissent à tout rompre. Il est vrai que le duo Véronique Sacri et Ahmed Madani le vaut bien. En tout cas, un vibrant hommage à Nelly Arcan qui a fait le choix de nous quitter, de quitter ce monde en septembre 2009. A Nelly Arcan, aux hommes et aux femmes qui comprennent et vivent le conte du Petit Chaperon rouge. |