
Un gros fracas provenant d’une malle en métal rouge. Le spectateur qui était encore en train de discuter avec son voisin sursaute et se retrouve plongé d’une manière peu conventionnelle dans le spectacle. Ici, pas de rituel noir dans la salle qui annonce au public qu’il va se passer quelque chose, non. On y est, ça a commencé.
Un homme sort donc d’une malle, et nous scrute. Nous sommes dans un aéroport, avec le brouhaha que cela implique, et cet homme a dormi une heure cette nuit, après une soirée visiblement trop arrosée. Il va très vite occulter ce vacarme et le temps va se figer pour lui : son regard s’est posé sur une jeune fille qui vient de s’asseoir dos à lui, le genre de fille qui "transforme les garçons en hommes, et les hommes en loups".
Et cet homme va nous laisser entrer dans le tourbillon de ses pensées, entre la fascination qu’il éprouve pour cette demoiselle aux cheveux ocres et aux yeux de biche, sa jalousie et son mépris vis-à -vis des autres garçons qui la regardent, le ressassement de sa vie et à plus court terme, de sa soirée de la veille, et sa colère face à l’ingratitude de cette jeune fille qui ne daigne lui accorder un regard. Mais n’en dévoilons pas trop, ce n’est que le début...
Quel texte ! On reconnaît bien la griffe à la fois poétique et percutante de Fabrice Melquiot, qui sait créer des personnages attachant, au caractère bien trempé. Ce texte, interprété par Grégory Felzines, ne peut qu’accrocher le spectateur : qui n’est jamais resté pantois devant le charme d’un(e) parfait(e) inconnu(e) ? Qui n’a jamais imaginé la vie d’une personne assise à coté de lui dans le métro, ou dans ce lieu si symbolique de l’instant volé, éphémère qu’est un aéroport ? Et qui a osé aborder cette personne ? Peu d’entre nous probablement...
Dans une toute autre perspective, cet homme nous renvoie également, à ces personnes, considérées comme marginales, qui parlent seules, ressassent, dans la rue, les bistrots, un charabia incompréhensible, et infini.
Ce n’est pas là une folie douce que nous transmet le comédien, mais bel et bien le flux de pensées d’un homme torturé, dont le coup foudre pour cette jeune fille sera prétexte à nous laisser entrevoir son mal être. C’est une performance assez remarquable que nous livre Grégory Felzines, face à ce débit de texte, sans aucune accroche, un rythme soutenu qui ne retombe pas. Peut-être pas assez parfois, certains moments gagneraient encore plus en profondeur s’ils se posaient un peu plus. C’est en tous cas une belle lueur de sincérité qui anime l’il du comédien qui use de son corps et de sa voix pour laisser partir son personnage de l’euphorie à la violence. Il nous offre un personnage touchant qui nous ferait presque remettre en cause notre notion de la folie, un personnage presque "canin", de ces "chiens de gouttières" imprévisibles.
La scénographie paraît encore assez imprécise, et gagnerait probablement à être encore plus épurée. En tout cas, un spectacle drôle, touchant qui présage de belles perspectives pour la jeune compagnie du Désespoir du singe. |