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 Dans les pas de la plus grande exploratrice du XXe siècle, un spectacle vivifiant.
Digne, fin des années cinquante. La femme aux semelles de vent, celle qui parcourut à pied ou à dos de yack et de mule des milliers de kilomètres, celle qui fut la première européenne à pénétrer au Tibet, sur le toit du monde, est maintenant clouée dans sa propriété, sa "Forteresse de la méditation". Désormais, ce sont ses béquilles qui rythment ses pas ("Un pas je nais, un pas je meurs" : beau leitmotiv du texte) et, depuis son rocking-chair, elle tyrannise sa gouvernante, secrétaire, confidente, lectrice, entre autres, baptisée Tortue. Entre les deux femmes que plus d’un demi-siècle sépare, entre l’extravagante aventurière Alexandra David-Néel et la jeune Marie-Madeleine Peyronnet venue d’Algérie, s’installera dix ans durant 95 minutes sur le plateau du Petit Montparnasse une relation fusionnelle et orageuse, tissée de tendresse et de fureur, de larmes et de rires. Le texte formidable de Michel Lengliney, écrit à partir du livre de la gouvernante et d’une longue interview, donne aussi à entendre la langue précise, inventive, nourrie d’images, de sensations et d’émotions de la grande écrivaine-voyageuse que fut Alexandra David-Néel.
"Allez, petite, donne ton bras, on part !" Oui ! Sans possibilité de résister aucune, souffre-douleur et spectateurs sont embarqués dans les souvenirs d’Alexandra, sous l’impitoyable soleil des déserts, à travers les étendues glacées, dans les tourmentes de la mousson ou la neige... "Oh non, pas la neige, ça n’en finit pas !", supplie drôlement Tortue quand, péremptoire, la terrible vieille dame affirme qu’il va neiger ! Il faut donc, toutes affaires cessantes, extraire la toile de tente de l’amas d’objets, sacs, tissus qui occupe le fond de la scène, la déplier, s’y nicher, ouf, repos. Non ! La plus grande exploratrice du XXe siècle a faim... Très joli moment que cette envie d’endives braisées. Pour de faux ou pour de vrai ? On est comme Tortue, on ne sait plus très bien et ce flou est délicieusement théâtral.
L’essentiel de la vie d’Alexandra David-Néel nous est ainsi conté : sa première fugue à 5 ans au bois de Vincennes, sa carrière de cantatrice elle fut Carmen à l’opéra d’Hanoï , la relation de cette féministe acharnée à son mari, son premier ange gardien elle doit bien l’avouer qu’elle épouse à l’âge de 36 ans, la vraie vie qui commence quand elle part pour l’Asie six mois (elle y restera quatorze ans), la découverte de "l’ivresse de n’obéir qu’à soi même", son acharnement au travail (elle apprend le sanscrit, devient une orientaliste reconnue), sa rencontre avec Yongden, une jeune adolescent du Sikkim, son deuxième ange gardien qui, pendant quarante ans, sera son cuisiner, son blanchisseur, son secrétaire, son fils...
Tout cela, il est temps de le dire, est porté par Hélène Vincent, explosant d’une formidable vitalité entravée par un corps cassé, rompu. Emilie Dequenne tire son épingle du jeu dans le rôle de Tortue. Le risque était de servir de faire-valoir : ce n’est pas le cas du tout, elle est réjouissante. Alors, bien sûr, tout n’est pas dit de l’âme du personnage et parfois, on frôle l’écueil du procédé, celui de la remémoration (peut-être pas assez souvent brisé comme c’est le cas avec la trouvaille scénique de l’anniversaire). Mais l’important est là , notamment l’énorme ego de la bouddhiste : "Quel travail pour le tuer votre moi, persifle Tortue. Il va falloir organiser une battue !...". Et son incapacité à renoncer. Quand son ange gardienne (dernière et troisième) lui enjoint de se reposer, elle rétorque "Le repos me tue". Et elle a ces mots cruels : "Je hais les vieux" ou bien : "Vieillir, jaunir, flétrir". Quant à la scène finale autour du passeport tout neuf refait à l’âge de 100 ans, on vous laisse la découvrir... En sortant, si ce n’est déjà fait, ne résistez pas à votre désir de plonger dans son tourbillonnant Journal de voyage, en fait ses lettres à son mari (Pocket). |
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Mis à jour le 11/02/2010
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